« dysphorie de genre » : ce que le DSM fait des variances de genre
Du « transsexualisme» à la « dysphorie de genre » : ce que le DSM fait des variances de genre
« Ne trouvez-vous pas étrange docteur que la chirurgie plastique arrive à guérir les troubles mentaux ? »1.
2 Je mets volontairement ce mot entre guillemets. Je renvoie, en l’utilisant, à la catégorie mentale (...)
3 Benjamin H. (1953), "Transvestism and Transsexualism", International Journal of Sexology, 7, 12-14.
4 On remarquera que c’est à un urologue que l’on demande alors une définition.
5 Espineira K., « Une typologie des représentations médiatiques françaises de la transidentité », com (...)
6 Journal télévisé d’Antenne 2, 29 juin 1982, 23:15.
7 Nous préférons la notion de « consommateur » de soins » à celle de « malades ». Quant à celle de « (...)
1Dans cet article il s’agira de comprendre ce qui se joue autour des catégories psychiatriques en terme de psychiatrisation, de pathologisation et de prise en charge des questions transidentititaires. Le « transsexualisme »2 est une entité nosographique récente (Foerster, 2012) qui trouve sa définition contemporaine en 1953 sous la plume de l’endocrinologue Harry Benjamin3, qui le distingue de l’homosexualité. Il faut attendre 1979, pour que le France voie naître son premier protocole de changement de sexe, sous l’influence des professeurs Breton (psychiatre) et Kuss (urologue). La clinique actuelle est présentée par le professeur René Kuss4 à l’académie de médecine de 1982. Karine Espineira, dans « Une typologie des représentations médiatiques françaises de la transidentité »5, revient son passage télévisuel d’Antenne 2, au sortir de ce colloque6. Elle montre alors que cette intervention est la première, à la télévision française, qui va poser les bases d’un protocole autour de deux idées : 1- il existe des « vrais » et des « faux » transsexuels ; 2- il est donc important de constituer des équipes et une batterie de test pour trier les « vrais » des « faux ». En cette période, les discours associatifs rejoignent les discours médicaux. Il est urgent d’opérer sur le territoire français et d’assurer par là même un remboursement des opérations. L’offre protocolaire rencontre la demande transidentitaire. Mais cet équilibre ne tient pas. Très vite, les consommateurs de soins trans7 émettent des critiques envers les protocoles hospitaliers. La psychiatrie, qui se voulait thérapeutique, est dénoncée pour ses maltraitances (Sironi, 2011). La chirurgie, point d’acmé des parcours psychiatrique, voit sa place relativisée dans les trajectoires de vies toujours singulières des acteurs (Giami, 2012). Quant aux catégories psychiatriques, elles sont, de manière véhémente, critiquées par les associations qui voient en elles des outils de discrimination et de précarisation (Thomas, 2007 ; Foerster, 2012). Dans ce contexte, les trans posent trois questions aux catégories psychiatriques, et notamment au DSM. D’une part, celle de la pertinence et de la centralité de ces catégories. Pour le dire autrement : doit-on psychiatriser les variances de genre ? D’autre part, il semblerait qu’il ne faille plus uniquement prendre en considération la souffrance comme élément de justification à la pathologisation, mais qu’au contraire ce soit, pour reprendre Judith Butler « la pathologisation (qui) fasse souffrir »(Butler, 2004). Cette inversion de la question trans permet alors de penser les catégories psychiatriques comme des éléments iatrogènes. Si les mots peuvent blesser, ces derniers ne sont jamais irréfragables. Dès-lors, peut-on repenser le vocabulaire de la prise en compte de manière à favoriser une dépathologisation des représentations ? Enfin, la dernière question qui reste posée est celle, non plus de la prise en compte, mais celle de la prise en charge. Quels éléments permettent à la fois une dépsychiatrisation, une dépathologisation et un maintien du remboursement, c’est-à-dire une médicalisation ? Ce sont ces trois questions que j’aimerais développer dans ce texte.
Du « transsexualisme » à « la dysphorie de genre », en passant par « troubles de l’identité de genre » : l’inscription des variances de genre comme trouble mental
8 Bourgeois M. -L. (1980), « Transsexualisme, dysphorie de genre et troubles de l’identité ́sexuelle. (...)
9 Fisk N. (1973), "The how, what and why of a disease" in Laub D. et Gandy P. (dir.), Proceedings of (...)
2Avant l’invention du « transsexualisme », seul le travestissement était compris dans les classifications psychiatriques (dans le DSM I comme dans le DSM II). Dans la révision du DSM III (DSM III-R, 1987) l’APA (Association Américaine de Psychiatrie) modifie le terme en « travestissement fétichiste ». L’invention de « transsexualisme » au milieu du vingtième siècle (Benjamin, 1953) fait apparaître le terme dans les classifications internationales et ce, indépendamment du travestissement. Le DSM inclut en 1980 le concept de « transsexualisme » dans une nouvelle catégorie intitulée : « troubles psychosexuels ». Dans cette catégorie se trouvent les « troubles de l’identité sexuelle » lesquels renvoient au transsexualisme. Les critères diagnostics reprennent à leur compte les bases définitionnelles de Benjamin : « le transsexuel n'est ni schizophrène, ni fétichiste, ni homosexuel », l’individu a le « sentiment général d'être semblable à un sujet de l'autre sexe ». Plus contemporain, il reprend aussi les conclusions de Robert Stoller, en incluant dans les cadres du diagnostic le dépistage d’éléments psycho-environnementaux susceptibles de délimiter un « vrai transsexualisme » et donc d’exclure les demandes qui prendraient la forme du transsexualisme sans être du transsexualisme. On ne trouve plus de trace des « troubles psychosexuels » dans la révision du DSM III qui a lieu en 1987. Seule apparaît alors la catégorie vague de « troubles sexuels ». Ilfaut dire qu’après l’ouverture de genderclinics aux États-Unis et sous l’apparition du terme de « dysphorie de genre » initié par Fisk, les appellations médicales évoluent et la prise en compte des demandes de changements de sexe déborde du cadre restreint de la labellisation «transsexuelle ». Ainsi, comme en témoigne Marc Louis Bourgeois8 (psychiatre fondateur du protocole hospitalier de Bordeaux) dans ses échanges avec Norman Fisk9, le « transsexualisme » français s’hybride de réponses anglo-saxonnes (la « dysphorie de genre ») et de traditions locales (forte psychiatrisation). D’un point de vue clinique, et sur la base d’unepremière Gender Dysphoria Clinic située à Standford, les réponses formulées face aux demandes de changement de sexe tentent de libéraliser l’accès aux soins (Castel, 2003).
3Dans ce contexte, entre mondialisation des définitions et caractéristiques cliniques locales, le DSM se modifie. Le DSM IV TR est mis en révision. Sa définition de la « dysphorie de genre » est la suivante :
DSM IV-TR (code 302.6 et 302.85)
- Identification intense et persistante à l’autre sexe (ne concernant pas exclusivement le désir d’obtenir les bénéfices culturels dévolus à l’autre sexe)
- Sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondante
- L’affection n’est pas concomitante d’une affection responsable d’un phénotype hermaphrodite
- L’affection est à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
4Dans cette version on remarquera plusieurs éléments. Premièrement, la permanence du changement (et donc du désir de changement) doit être avérée. Deuxièmement, la binarité est la règle (l’autre sexe, ayant plus ou moins de « bénéfices culturels »).Troisièmement, le changement ne peut être ludique : il est issu d’une souffrance et d’un inconfort. Quatrièmement, cette souffrance est l'une des conditions cliniques à l’obtention d’une opération remboursée. Enfin, le genre est passé sous silence au profit du sexe. Sur le site de l’APA (Association Américaine de Psychiatrie), les réécritures du DSM sont proposées. Comparons alors les deux versions.
Dysphorique ou non congruent ?
5En 2009, une nouvelle version est donc proposée pour la réécriture du DSM IV. La « dysphorie de genre » s’efface et est remplacée par une proposition de « non congruence de genre ». Le changement, loin d’être uniquement sémantique, est réel et provoque de nombreuses réactions médicales et associatives. Pourtant, en mai 2010, le nom de « genderincongruence » est de nouveau changé pour « dysphorie de genre ». La nouveauté ne porte plus alors sur l’intitulé des catégories, mais sur une discussion plus profonde concernant les effets de ces catégories sur les vies des personnes concernées. Une dysphorie de genre se caractérise par :Une non concordance de genre marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au moins 6 mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs suivants :
- Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires
- Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné
- Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe
- Un désir fort d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné
-Une volonté forte d’être reconnu comme appartenant à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné
- La conviction d’avoir des réactions et des sentiments appartenant à l’autre genre ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné.
6On voit très nettement la différence avec les définitions antérieures. On y parle de genre (que l’on distingue pour la première fois en genre assigné et en expériences de genre vécues). Contrairement à la précédente définition, tous les facteurs qui sont déclinés ne fonctionnent pas de manière concomitante. On différencie les caractères sexuels primaires et secondaires et l’on amorce ainsi une dégénitalisation du sexe. Enfin, plus étonnant, le DSM esquisse une première reconnaissance des « genres alternatifs », preuve des adaptations des catégories ainsi que de leur aspect historiquement situé (Dresher, 2010).
7En France, ce changement va de pair avec l’annonce du ministère de santé, datée du samedi 16 mai 2009, selon laquelle « la transsexualité ne sera plus considérée comme une affection psychiatrique en France » - annonce dont le décret d’application interviendra quelques mois après, le 10 février 2010. À cette occasion, la ministre de la Santé, Madame Roselyne Bachelot-Narquin, par le biais de son ministère, diffuse un communiqué : « A l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie, dont l’axe central cette année est la transphobie, Roselyne Bachelot-Narquin a annoncé avoir saisi la Haute Autorité de Santé afin de publier un décret pour sortir la transsexualité de la catégorie des affections psychiatriques de longue durée. Cette classification au titre d’affection psychiatrique de longue durée (ALD 23) est vécue par les transsexuels de manière très stigmatisante en ce qu’elle introduit une confusion entre trouble de l’identité de genre et affection psychiatrique. Cette déclassification n’induit pas une absence de recours à la médecine, de renonciation au diagnostic médical des troubles de l’identité de genre ou d’abandon du parcours de prise en charge. »
8Les médias se saisissent immédiatement de l’information et le monde associatif se divise sur cette annonce (Espineira, 2012). Pour les uns il ne s’agit que d’un symbole. Cependant ce symbole comporte un risque majeur : celui de faire croire à une dépsychiatrisation totale, rendant problématique toutes les demandes relatives à une réelle dépsychiatrisation du parcours de changement de sexe et de changement de genre. Pour les autres, même administrative, cette dépsychiatrisation (qui est donc une déclassification plus qu’une dépsychiatrisation) reste un signal fort. Vécu comme une stigmatisation, l’abandon de l’étiquette psychiatrique est donc applaudi par une partie des associations.
9Il faudra attendre, le 10 février 2010 pour que le décret soit rendu public et pour que l’annonce de « dépsychiatrisation » se concrétise. Rappelons le, il s’agit ici d’une déclassification administrative faisant passer les remboursements relatifs au diagnostic transsexuel d’une ALD (Affection Longue Durée) classifiée « Affections psychiatriques de longue durée » à une ALD classifiée « hors liste ». La réception par la psychiatrie française de cette déclassification et de ce changement de nomination dans le DSM reste assez hostile. Marc Louis Bourgeois, psychiatre au sein du protocole hospitalier bordelais écrira : « Nous sommes bien là dans le registre des difficultés psychiques et sociales qui relèvent jusqu'à ce jour de la psychopathologie et de la psychiatrie. Quoiqu'en disent la HAS, le Ministère de la Santé, les politiciens et certains spécialistes des « Sciences Humaines » […] Pourquoi inviter les psychiatres, puisqu’on veut dépsychiatriser le problème, ce qui nous conviendrait parfaitement ? » (Alessandrin, 2011).
10La même année, lors d’une journée d’étude sur la « dépsychiatrisation » des transidentités à Paris, Colette Chiland prononcera ces mots : « Nous pouvons chercher des termes nouveaux. Tout terme, quel qu’il soit, devient stigmatisant, lorsqu’il connote « une réalité » qui pose problème. Le DSM-V propose « gender incongruence ». Est-il préférable d’être « incongru » plutôt que « troublé »? La World Association for mental Health (WPATH) insiste sur la « dysphorie de genre », la souffrance » (Chiland, 2012).
10 L’ensemble de cette conférence est consultable en ligne sur le site du « séminaire trans » (Centre (...)
11La SOFECT (SOciété Française d’Étude et de prise en Charge du Transsexualisme) prend alors position. Sa présidente, Mireille Bonierbale, psychiatre au sein du protocole hospitalier de Marseille s’exprimera en ces termes, en mars 2011, à l’université de Bordeaux : « Changer les mots, ça peut avoir une valeur symbolique, mais ne va pas stopper le processus de stigmatisation…si processus de stigmatisation il y a[…] Alors on pense que ça va changer quelque chose de passer du terme de dysphorie à celui de congruence ou d’incongruence. Est-ce que c’est une mesure prématurée ou est-ce que c’est une mesure démagogique vis-à-vis d’une présupposée stigmatisation du mot « trouble » ? »10.
12Dans un contexte de tension entre monde médical et revendications associatives (Bourcier, 2012), le terrain transidentitaire reste un « laboratoire actif et turbulent, pour ne pas dire volcanique » (Hérault, 2007). Entre légitimités scientifiques, contextes politiques et expériences individuelles, les catégories mentales, toujours en délibéré, habitent les controverses de leur époque : elles sont « transitoires » (Hacking, 2002).Face à ces réticences psychiatriques, dont nous n’illustrons ici que le cas français, l’APA revient sur la définition proposée de « non congruence de genre ». La définition retenue insiste alors de nouveau sur « la souffrance » en rajoutant une précision :
B- La condition est associée à une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou d'autres aspects importants du fonctionnement, ou à un risque significativement accru de souffrir, comme la détresse ou d'invalidité**
Sous types
Avec un désordre du développement sexuel
Sans un désordre du développement sexuel
Remarques**
Après la transition : l'individu a transitionné en « fulltime » dans le genre désiré (avec ou sans une légalisation de son changement) et a fait l'objet (ou est en train) au moins d'un changement de sexe sous hormonothérapie ou d'une chirurgie de réassignation confirmant le genre souhaité (penectomie, vaginoplastie, mastectomie, phalloplastie).
Les classifications et leurs effets
11 Dans « Changer de sexe » Colette Chiland écrit « Tous souffrent, ils sont même si pathétiques qu’il (...)
13Cet ajout n’est pas, à première vue, significatif. Toutefois, à mieux y regarder on remarquera qu’en plus de l’étiquette psychiatrique inchangée par rapport au DSM IV (« dysphorie de genre »), la « souffrance cliniquement significative » revient comme condition du trouble de l’identité de genre. On pourra se demander pourquoi le DSM ne prend pas en compte les effets des catégories psychiatriques sur les vies, notamment leurs pouvoirs discréditants, alors que cette question est mise en avant par les associations. En France par exemple, depuis le GAT notamment (Foerster, 2012), on voit naître des slogans comme « Psychiatrisation = transphobie ». Au-delà des pratiques médicales elles-mêmes, largement discutées en France (Sironi 2012, Observatoire Des Transidentités, 2013), c’est l’étiquette médicale qui est remise en cause. Si l'on suit Judith Butler : « S’entendre dire que votre vie genrée vous condamne à une vie de souffrance est en soi inexorablement blessant . C’est une parole qui pathologise et la pathologisation fait souffrir » (Butler, 2004). Perspective qui s'oppose directement à celle de Colette Chiland, présidente d’honneur de la SOFECT, qui écrivait à propos des transsexuels : « tous souffrent »11.
14Jack Drescher, expert psychiatre nommé au groupe de travail « identité de genre » au sein de l’APA, dans un parallèle avec la dépsychiatrisation de l’homosexualité, présente ainsi la position de l’APA : « Étant donné le potentiel de stigmatisation, pourquoi garder le diagnostic? Comme indiqué précédemment, contrairement au cas de l'homosexualité dans les années 1970, l'expansion des droits des trans n'a pas été entièrement obstruée par les diagnostics du DSM, même s’il est également possible que les diagnostics du DSM aient joué (et continuent de jouer) un rôle inhibiteur pour retarder le rythme du changement. Tout en conservant les diagnostics, même avec la modification proposée, on peut sans doute contribuer à perpétuer une stigmatisation […]Un tel résultat constituerait un moindre mal pour les trans anatomiquement dysphoriques de la communauté trans par rapport à un refus d'accès aux soins médicaux et chirurgicaux susceptibles de découler d’un retrait du DSM » (Drescher, 2011). De son point de vue, il ne s’agit pas de nier les effets stigmatisants des classifications médicales, mais de saisir aussi leur importance quant aux remboursements des opérations dans certains pays, comme la France, qui corrèlent la prise en charge du changement de sexe au diagnostic de « dysphorie ». La dépsychiatrisation ayant pour épée de Damoclès un déremboursement, on touche là au cœur du problème. Comment dépsychiatriser sans démédicaliser et dé-rembourser (Bujon, 2012 ; Giami, 2012) ?
15Du « transsexualisme » aux propositions de « non congruence de genre », il semble que nous assistions à une déprise de la psychiatrise face à sa propre invention. Mais cela pose une somme de questions : pourquoi psychiatriser ? Comment dépsychiatriser sans dérembourser ? Pourquoi ne pas dépsychiatriser et dépathologiser ? Tom Reucher, psychologue clinicien et ancien président de l’ABS (Association du Syndrome de Benjamin) propose un texte intitulé « Dépsychiatrisez sans démédicalisez » (Thomas, 2013), dans lequel il explique sa position :
16« Dépsychiatriser ne suffit pas à nombre de trans qui voudraient aussi la dépathologisation, c'est-à-dire la sortie de la Classification Internationale des Maladies et de tout autre manuel. Ils pensent que la prise en charge n'a pas besoin de lister la transidentité dans une quelconque classification de maladies, son remboursement ne devant être qu'une volonté politique. Si je suis d'accord sur le fond (ce n'est pas une maladie), je suis conscient que nombre de pays ne sont pas politiquement prêts à prendre en charge des problématiques qui ne sont pas considérées par l'OMS comme ayant besoin de soins (les traitements hormonaux et chirurgicaux sont des soins). La sortie de la CIM entraînerait la suppression de la prise en charge par les systèmes d'assurances maladie dans de nombreux pays alors que les traitements hormonaux et chirurgicaux sont très coûteux. C'est pourquoi je propose une solution pragmatique permettant l'accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux pour les trans qui le souhaitent et qui n'ont pas les moyens de les financer. Rien n'empêchera les personnes qui veulent tout payer de continuer à le faire. »
17Une autre classification psychiatrique pose la question, la CIM (CIM 10), également en révision, qui porte en elle la promesse d’une médicalisation et d’un remboursement sans implicite psychiatrique. Selon certain militants, le passage d’une définition par le DSM à une définition par la CIM pourrait alors accentuer cette déprise de la psychiatrie vis-à-vis du changement de sexe. (Thomas, 2013). Acteur du mouvement trans depuis de nombreuses années (Reucher, 2005), Tom Reucher propose même une nouvelle classification, qui fait écho aux réflexions de l’OMS :
18« La transidentité pourrait être classée (comme le sont la contraception et l'avortement non pathologique Z30.3) dans le CHAPITRE XXI. Voici plusieurs possibilités dans ce chapitre: 1.Z00-Z99 Facteurs influant sur l'état de santé et motifs de recours aux services de santé) ; Z55-Z76 Sujets dont la santé peut être menacée par des conditions socio-économiques et psycho-sociales [...] Z60.5 Cible d'une discrimination et d'une persécution. Discrimination ou persécution, réelle ou perçue comme telle, pour des raisons d'appartenance à un groupe (défini par la couleur de la peau, la religion, l'origine ethnique, l'identité de genre, etc.). »
19C’est dans cette voie que Jack Drescher, nommé expert au sein de l’OMS sur les questions d’identité de genre, expose les différentes hypothèses qui s’offrent à la CIM pour résoudre la tension entre prise en compte médico-sociale et prise en charge politique. Dans un article intitulé « Penser le corps : situer l’identité de genre dans la CIM 11» (Dresher et al., 2012), qu’il écrit suite aux discussions de réécriture de la CIM, Drescher propose une cartographie des positions envisagées, qu’il ordonne en ordre de faisabilité. La première consisterait à créer un nouveau chapitre dans la CIM 11 pour les troubles sexuels. Mais ceci, note-t-il, rabattrait la question trans sur la question sexuelle et laisserait prise à un diagnostic, non plus sur l’identité de genre des personnes mais aussi sur leur sexualité. Une seconde option reviendrait à classer la « dysphorie de genre » dans une catégorie purement médicale : « Une telle approche permet de résoudre le problème de la stigmatisation psychiatrique tout en maintenant un accès aux soins » (p. 575) souligne Jack Drescher. Toutefois, une telle définition poserait de nouveaux problèmes. D'une part, tous les trans n'expriment pas le besoin d'une opération et d’autre part, « cela ne semble pas changer grand-chose à la situation actuelledans laquelle les personnes trans qui pourraient avoir accès aux offres de réassignations n’ont pas forcément accès aux services de santé » (p.576). Une troisième solution, aussi évoquée par Tom Reucher, consisterait à utiliser les « Z codes » de la CIM, c’est-à-dire un système décentralisé de codes, situés dans plusieurs chapitres, pouvant servir aux trans, comme à d’autres populations. Jack Drescher nous apprend qu’une réunion internationale convoquée par le collectif « Global Action for Trans Egalité » (comprenant les personnes concernées et travaillant pour le droit des trans) a suggéré cette mise en place même si ce modèle n'a pas été appuyée à l'unanimité. En effet, l'utilisation d'une série de codes dans différents chapitres, ancrées et liées par un ou plusieurs codes Z, pourrait servir les objectifs de dépathologisation et de déstigmatisation mais aussi interférer, du fait de sa complexité, avec l'accès aux soins, étant donné que les tiers payeurs dans de nombreuses parties du monde remboursent rarement les services offerts par rapport à ces types de codes. Une dernière option, celle du retrait total de la dysphorie de genre du CIM ne semble pas retenir l’attention, tant la psychiatrisation de la transidentité conditionne les opérations dans de nombreux pays.
Conclusion : déstigmatiser et dépsychiatriser sans dérembourser
20On entend bien la préoccupation première des mouvements trans : dépathologiser dans les termes, dépsychiatriser, c’est-à-dire soustraire les transitions à l’injonction psychiatrique, sans pour autant démédicaliser (Bujon, 2012). Dès lors, comment rembourser ce qui ne relève pas d’une maladie ?
21De l’ensemble de ces discussions, il semble qu’il faille retenir une chose : la volonté de quelques militants et de chercheurs liés à l’OMS de « penser du côté de la santé » et non plus « du côté de la maladie ». Dans cette perspective la santé ne se réduit pas à l’absence de maladie et la demande de « bien-être » ne peut se limiter à celle des personnes « malades » . On notera sur ce point le dépassement d’une crainte : une classification qui prend en compte la notion de « santé » n’est pas forcément une classification pathologisante. Encore faut-il la penser en des termes qui permettent un « accompagnement » sans « stigmatisation », c'est-à-dire éviter toute « maltraitance théorique », ces mots qui blessent susceptibles suivant Françoise Sironi (2011) de conduire à une « maltraitance clinique ».
https://journals.openedition.org/socio-logos/2837#tocfrom1n2
FAIRE UNE TRANSITION - .1
.UN PARCOURS TRANSDans cette fiche pratique nous utiliserons le terme MtF pour désigner les...
LES HORMONES DE SUBSTITUTION 2
.LES HORMONES DE SUBSTITUTIONTRANSITION DANS LE SENS FTMConcernant les hormones pour les...
GUIDE : LE CHANGEMENT D'ÉTAT CIVIL
GUIDE : LE CHANGEMENT D'ÉTAT CIVIL AVEC LA LOI JUSTICE DU XXIÈ SIÈCLEC'est une grande nouvelle,...
retouches des interventions de réassignation de Femme vers Homme
Corrections et retouches des interventions de réassignation de Femme vers HommeRetouches au...
Transgenre : le transsexualisme expliqué en 5 questions
La psychologue Françoise Susset, présidente de l’Association canadienne des professionnels de la...
Mon enfant dit qu’il est transgenre, et maintenant ?
Dans de nombreuses familles, les parents peuvent être impliqués dans le « coming-out » de leur...