Dysphorie de Genre à l’Adolescence
.
« Questions approfondies en psychologie clinique de l’adolescence : comportements à risque
et crises au cours de l’adolescence »
L’adolescence est une phase entre l’enfance et l’âge adulte, accompagnée de nombreux changements
aux niveaux physique (somatique), hormonal et psychologique. Ainsi, il s’agit souvent d’une période de crise
difficile. Au niveau psychologique, l’un des enjeux majeurs porte sur les problématiques identitaires dont
celle de l’identité de genre. Il s’agit d’un processus complexe, se déroulant dans les interactions entre la
famille, l'environnement social et les facteurs biologiques, développementaux et cognitifs. L’identité de genre
se renforce avec la sexualité et se fixe vers 7 ans (L. Soldati, communication personnelle, 20 octobre, 2016).
Chez un adolescent ou un adulte, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5ème édition
(DSM-V; APA, 2013) définit la dysphorie de genre (DG) comme suit : « Une incongruence marquée entre le
genre vécu/exprimé et le sexe affecté, d'une durée d'au moins 6 mois » à laquelle est associée une « [...]
souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou d'autres
domaines importants du fonctionnement ».
Epidémiologie
Le groupe de travail du DSM-V fait état d’un taux de prévalence variant de 0,005 à 0,014% pour les
adultes nés de sexe masculin et de 0,002 à 0,003% pour les personnes nées femmes. La sous-estimation de ces
taux est probable : tous les adolescents et les adultes ne sollicitent pas un traitement hormonal et chirurgical1
.
Dysphorie de genre à l’adolescence
La présence d’une DG à l’adolescence prédit sa persistance (Shumer, Nokoff & Spack, 2016) : le jeune
continuera à se sentir en incongruence avec son sexe biologique2
. Selon le Dr. L. Soldati (c. p., 20 octobre,
2016), le plus souvent sont observées une première manifestation des symptômes de DG vers l'âge de 7 ans,
suivie d'une période latence, avant la réapparition à l'adolescence de la DG qui va persister.
Dysphorie de genre et termes associés
Il convient, avant toute chose, de faire la distinction entre une personne souffrant de DG et une
personne transgenre. Cette dernière peut définir son genre différemment de celui qui lui a été assigné à la
naissance, sans qu'il y ait une souffrance ni de désir de changer de genre. Il est aussi important de distinguer
un individu transgenre d’une personne intersexe3
. Tout comme chez une personne transgenre, une DG peut
être ou non présente chez une personne intersexe.
Par ailleurs, il n'y a pas une forme clinique ni une trajectoire développementale type. Il existe tout un
continuum dans le désir de changement de genre : agenre4
, genderfluid5
, genderqueer6
, etc. Il est également
important de noter que le terme "transexuel" désigne les personnes hermaphrodites ou les personnes
transgenres ayant été opérées, ayant transitionnées vers le genre désiré, suite à un diagnostic de DG.
1
(http://www.congresfrancaispsychiatrie.org/dernieres-actualites-sur-les-dysphories-de-genre/)
2 Le sexe biologique désigne les caractéristiques génétiques, anatomiques et hormonales du sexe permettant de désigner un individu
comme étant homme ou femme (ou “indéterminé”, correspondant alors à un trouble du développement du sexe). (Traduction issue
et adaptée du Tableau 1; Shumer, Nokoff & Spack, 2016).
3 Une personne intersexe est également nommée hermaphrodite et est morphologiquement à la fois homme et femme (O'Dea, 2009)
(correspondant au genre “indéterminé”).
4 Un individu agenre ne s’identifie ni comme un garçon ou un homme, une fille ou une femme, ou une toute autre identité de genre.
(Traduction issue et adaptée du Tableau 1: Shumer, Nokoff & Spack, 2016)
5 L’identité de genre varie au cours du temps (Traduction issue et adaptée du Tableau 1: Shumer, Nokoff & Spack, 2016)
6 Genderqueer est un terme utilisé par les personnes qui n’utilisent pas les distinctions de genre conventionnelles, mais peuvent à la
place s’identifier comme n’étant aucun genre, étant tous les genres, ou une combinaison des genres masculin et féminin. (Traduction
issue et adaptée du Tableau 1: Shumer, Nokoff & Spack, 2016)
3
Par conséquent, le désir de changer de genre ne mène pas nécessairement à des opérations
chirurgicales de réassignation de genre : un traitement hormonal7
, une démarche d’acceptation de sa situation,
un changement de prénom, l’utilisation de vêtements assignés au genre désiré peuvent être suffisants.
Diagnostics différentiels
Plusieurs consultations sont nécessaires avant de poser un diagnostic de DG et d’envisager une
procédure médicale puisque les conséquences sont irréversibles. Ainsi, il est nécessaire de vérifier que
l’adolescent ne soit pas dans une phase de décompensation psychotique8
. Il faut également distinguer la
dysphorie du travestisme, où la personne s’habille comme l’autre sexe, ou encore du fétichisme, où le sujet
ressent de l’excitation lorsqu’il est habillé de façon cross-genre. En effet, du fait de certaines angoisses, il est
possible que l’adolescent cherche à découvrir ou consolider son identité de genre. (Soldati, L. (2014) ; L.
Soldati, c. p., 20 octobre, 2016).
Conséquences et comorbidités
La DG peut avoir de multiples conséquences dont la plus évidente est la souffrance psychologique
découlant de l’incohérence entre l’image mentale du corps et le corps tel qu’il est réellement (Meyer-Bahlburg,
2002) dans le miroir9
. Cette souffrance peut se manifester par des épisodes dépressifs, étant donné la forte
prévalence de facteurs de risque de dépression dans la dysphorie de genre10. De plus, ce trouble a des
conséquences dans les sphères familiale et sociale. La majorité des adolescents tente de fuir les situations
sociales (McNeil, Bailey, Ellis, Morton & Regan, 2012), lors desquelles ils peuvent être victimes de
harcèlement11 basé sur les traits physiques distinctifs de l’adolescent12. Nous pouvons également supposer
qu’un tel évitement peut se manifester par une cyberdépendance : pour éviter les situations stressantes, le
jeune se réfugie dans le jeu, crée un personnage à son image - telle qu’il se l’imagine - et peut évoluer dans
un monde dans lequel il/elle se sent protégé par son image virtuelle et ainsi échapper à la réalité (Billieux et
al., 2011; Van der Linden, 2015; cités dans la présentation de Bizon, Bonny & Hedhili, 02.11.2016).
Le Dr Soldati Lorenzo (c. p., 20 octobre, 2016), psychiatre/psychothérapeute spécialisé en sexologie,
travaillant aux Hôpitaux Universitaires de Genève, rapporte que la dépression et l’anxiété sont les
comorbidités les plus fréquemment rencontrées dans la DG, ce qu’indique la littérature. La dépression découle
souvent de l'anxiété chez les adolescents les plus jeunes (Wittchen, Kessler, Pfister & Lieb, 2000). Cependant,
chez les adolescents plus âgés, la dépression peut prédire l’anxiété et inversement (Herbison, Allen, Robinson
& Pennell, 2015). De plus, la comorbidité de la dépression et de l’anxiété augmente le risque suicidaire
(D’Acremont & Van der Linden, 2007). Le sentiment d’être différent des autres, chez certains adolescents
avec une DG, peut amener des idées noires, des pensées suicidaires et aboutir à des tentatives de suicide.
Certains adolescents avec une dépression peuvent aussi s'engager dans des conduites à risque (ivresse à
7 Suppression de la puberté, prise d'hormones
8 En utilisant, par exemple, la Structured Interview for Prodromal Symptoms (SIPS ; McGlashanet al., 2010), version X, adaptée
pour les 15-25 ans. Il s’agit d'un entretien semi-structuré d'environ 60-75 minutes, avec deux objectifs : exclure un épisode
psychotique présent et investiguer la présence d'un état à haut risque
9 Voir les premières minutes du clip « We exist » du groupe Arcade Fire (2013), Album : Reflektor (2013).
https://www.youtube.com/watch?v=hRXc_-c_9Xc (Clip musical mis en ligne sur la plateforme Youtube en 2014, par
ArcadeFireVEVO); de 0:00 à 1:14 min environ.
10 Présentation “Dépression à l’adolescence”, slide n°8, par Clavijo & Fuentes Jiménez, le 07.12.2016
11 « Un élève est victime de harcèlement lorsqu'il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant
à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d'un ou à plusieurs élèves. Il s'agit d'une situation
intentionnellement agressive (...) qui se répète régulièrement » (Oweus, 1993)
12 Présentation “Harcèlement scolaire-Conséquence d’une violence physique et morale”, slide n°5, par Pinto, Stauffer & Di
Giovanni, le 30.11.2016
4
répétition, conduite périlleuse au volant, expositions sexuelles dangereuses, etc.) (Rey, Bella-Awusah, & Jing,
2012). Ces adolescents peuvent recourir à des comportements auto-dommageables, comme des blessures autoinfligées13, dans le but d’obtenir un soulagement rapide (« acting ») de leurs états émotionnels ou cognitifs
négatifs. Ceci permet de résoudre une difficulté interpersonnelle ou de retrouver un état émotionnel positif
(DSM-V; APA, 2013). Les adolescents peuvent aussi consommer des substances (alcool, drogues, etc.) afin
d’éviter certaines pensées trop douloureuses. Selon Van Hasselt, Null, Kempton, et Bukstein (1993), il y aurait
une comorbidité entre les troubles dépressifs, la symptomatologie dépressive et l’abus de substances. Des
auteurs (e.g., Henry et al., 1993) ont d’ailleurs montré que la dépression précède souvent l’abus de substances.
Deykin, Levy et Wells (1987) affirment que les troubles anxieux précèdent presque toujours l’abus de drogues
et d’alcool. Une étude épidémiologique a aussi montré qu’un trouble anxieux est un facteur de risque d’abus
de drogue (Christie et al., 1988).
Dysphorie de genre et traitements psychothérapeutiques
Auparavant, le corps médical considérait communément que le traitement était de se conformer au
genre attribué à la naissance et non celui désiré (e,g., Meyer-Bahlburg, 1993; cité par Rosenberg & Jellinek,
2002). Les traitements psychothérapeutiques se sont petit à petit développés, avec des compréhensions
diverses de la DG. La littérature se compose essentiellement de rapports de cas et de protocoles de traitement.
Peu d’études d’interventions ont menées jusqu'à présent en raison du petit nombre de patients, ce qui rend très
difficile l’évaluation de l'efficacité d'un traitement spécifique (Möller, Schreier, Li & Romer, 2009). Dans ce
document, nous évoquerons certains traitements dont seules les caractéristiques principales seront abordées :
traitement médical, systémique et thérapie de groupe, un traitement psycho-dynamique et un modèle
biopsychosocial intégratif.
Le traitement médical
Le traitement médical repose sur un suivi multidisciplinaire tout au long du processus de changement
de genre (L.Soldati, c.p, 2016), passant par un traitement hormonal dès la puberté et se terminant,
éventuellement, par une chirurgie génitale, souvent effectuée pour des raisons psychosociales 14. De la
psychoéducation est effectuée auprès de l’individu et sa famille. La décision d’attribution de genre dépend du
pronostic du fonctionnement psychologique de l’individu15 (e.g., gender role16). Le psychiatre joue un rôle
central : il suit le patient, également après, sa transition et traite les autres problèmes psychiatriques par la
psychothérapie et la pharmacothérapie. (Reiner, 1996; Möller et al., 2009 ; Zucker, Wood, Singh & Bradley,
2012)
Thérapies systémique et de groupe
Les parents d’un adolescent souffrant de DG peuvent ressentir de la gêne, de la tristesse, de la crainte
pour leur enfant quant à la stigmatisation qu’il pourrait endurer ou encore être en conflit avec ce dernier
(Möller et al., 2009 ; L. Soldati, c.p, 2016). Puisque le désir de changer de sexe chez l’adolescent provoque
une véritable crise sociale et familiale, les thérapies systémiques ou celles de groupe sont particulièrement
13 Présentation « Blessures auto-infligées » par Thomasson & Tzanetakos, le 09/11/16
14 Confirmation de l'identité sexuelle par l’apparence génitale, facilitation de l’éducation sexuelle - appropriée au genre, facilitation
du développement d’une image corporelle typique du genre, évitement de la stigmatisation sociale
15 Sexualité, qualité de vie globale, impact de la chirurgie génitale et du traitement hormonal, capacité de discernement.
16 Il s’agit du rôle stéréotypé que les membres de chaque sexe biologique sont attendus à jouer, basé sur des normes sociétales ou
des attentes. (Traduction issue et adaptée du Tableau 1: Shumer, Nokoff & Spack, 2016)
5
recommandées. Leur but fondamental est de rompre l’isolement social du jeune et d’amener l’entourage vers
l’acceptation du désir de l’adolescent en lui offrant son soutien.
Apports de la psycho-dynamique
Selon cette approche, une des idées principales est que l'influence parentale jouerait un rôle majeur
dans la consolidation de l'identité sexuelle de l'enfant (Möller et al., 2009). Chez les garçons, le trouble
émergerait d’une angoisse de séparation et servirait à restaurer leur mère physiquement/émotionnellement
absente (Coates & Person, 1985). La DG peut également découler d’un transfert de conflits parentaux nonrésolus ou d’expériences traumatiques d’un parent sur l'enfant. Par ailleurs, la personne souffrant de DG est
en proie à un grand conflit intrapsychique : si aucune voie d’expression n’est trouvée par l’adolescent, une
telle tension psychique peut engendrer des comportements auto-dommageables, leur corps ne correspondant
pas à leur représentation mentale et à leur ressenti intérieur.
Un modèle biopsychosocial pour une prise en charge intégrative
Le plus souvent, une thérapie avec une équipe pluridisciplinaire est recommandée pour
l’accompagnement lors du changement de genre. Le diagnostic de DG n’est posé qu’après plusieurs entretiens
et une formulation de cas en équipe. Cette formulation vise à comprendre le développement de l'identité de
genre selon un modèle multifactoriel : facteurs biologiques (dimorphisme sexuel17), psychologiques
(réponses/interactions parentales, cognition sociale, processus intrapsychiques), sociaux (isolement,
psychopathologies familiales) et comorbides (intérêts obsessionnels, dépression). La prise en charge médicale
et psychologique permet d’aborder les questions de la chirurgie sexuelle et du traitement hormonal, de réduire
le stress familial et l’isolement social. Ainsi, l’adolescent bénéficie d’une adaptation psychosociale et d’une
qualité de vie meilleures. (Zucker et al., 2012)
Conclusion
Les approches psychothérapeutiques sont assez différentes mais ont toutes un même objectif :
l'acceptation par l'individu et son entourage de la DG. Nous observons une évolution législative (e.g.,
prestations chirurgicales prises en charge par l'assurance maladie; L.Soldati, c.p., 2016) et un développement
des campagnes de prévention réalisées par des associations spécifiques pour lutter contre la transphobie (L.
Soldati, c. p., 2016), n’excluant aucun public.
Nous avons également vu que la DG à l'adolescence est une réelle souffrance ayant des conséquences
sérieuses et accompagnée d’un certain nombre de comorbidités. La DG chez l’adolescent nécessite d’être
reconnue et prise en charge, d’autant que la construction de l’identité - et par conséquent de l’identité de genre
- est une problématique incontournable de l’adolescence.
Des questions concernant la prise en charge de la DG persistent. Plus particulièrement, nous pouvons
nous demander s’il revient aux parents de décider du changement de genre ou si l’équipe multidisciplinaire
doit laisser l’enfant décider. Cela lui laisserait le temps d’explorer ses vécus psychiques et physiologiques.
Cependant, dans chacun des cas, le risque que le jeune souffre par la suite est non-négligeable (Annexe 2.)
https://www.researchgate.net/profile/Elsa-Martinelli/publication/335096194_DYSPHORIE_DE_GENRE_-_Synthesis/links/5d4e774e299bf1995b737641/DYSPHORIE-DE-GENRE-Synthesis.pdf

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